L’affinage
naturel

Caves de Roquefort :
la magie opère

Brassé, durci, découpé, moulé, égoutté, marqué, salé, piqué… Le lait devenu fromage frais, après toutes ces turbulences, accède à la crypte : aux caves naturelles de Roquefort-sur-Soulzon. Tandis que le fromage repose dans ces cavités rocheuses aux parois fraîches, le Penicillium roqueforti s’éveille dans les cavités du fromage. Les marbrures bleu-vert apparaissent dans la pâte blanc-ivoire.

Orientées au nord, sous l’éboulis du Combalou, les caves atteignent jusqu’à onze étages sous terre. Seuls quelques plis dans la falaise séparent les caves de deux fabricants. Toutes possèdent une à plusieurs fleurines. Tels de grandes orgues de rocailles, ces tunnels aux parois moussues jouent en permanence avec l’air. Les fleurines apportent fraîcheur et humidité dans l’antre de la cave.

Les fleurines, c’est un peu le pays de cocagne du Penicillium roqueforti : ce champignon aérobie prolifère dans ce milieu ventilé. Patiemment, du cœur vers le « talon » (le bord) du fromage, la moisissure bleu-vert va se développer. Ce processus, qui acte la conversion du fromage frais en Roquefort, se nomme l’affinage. Il doit durer au moins quatorze jours. Tout est question de tempo et d’anticipation.

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L‘affinage, tout en affinités

Plus il fait chaud en surface, plus la fleurine souﬄe un air frais et humide. Plus il fait froid, plus elle aspire l’air au-dehors des excavations rocheuses. Et lorsque la température extérieure oscille entre 0° et 10°C, elle retient sa respiration. Par un jeu de portes et de trappes, l‘affineur va réguler la circulation de l’air dans sa cave, pour atteindre et préserver les conditions d’affinage idéales.
Haut, table, sol : ainsi désigne-t-on les trois niveaux d’étagère qui accueillent les fromages. Ceux-ci sont disposés de chant, exposés aux flux d’air, et reposent sur une feuille plastique lavable à l’eau claire. Les travées sont de chêne et bon nombre sont d’origine ! Le bois constitue un excellent régulateur de l’hygrométrie : il capte l’humidité puis la restitue si besoin. Les fleurines, le bois, l’affineur : si en plus chacun y met du sien…
La cave est le jardin secret de l‘affineur. Laissez-le seul le soir, parmi les travées, quand pas un bruissement n’écorche le silence : il va détecter d’emblée les plus infimes anomalies. Laissez-le observer l’humidité sur la voûte et sur les étagères, la flaque d’eau sur les marches de pierre : il sait alors d’où le vent souﬄe et quand ses fromages seront à point. L’affineur, avec sa cave, est en totale affinité.

Quatre des cinq sens de l’affineur sont aux aguets. La vue, qui apprécie l’accentuation des veines bleu- vert dans la pâte. L’odorat, qui devine par accoutumance la progression de l’affinage. Le toucher, au moyen d’une sonde en inox qui révèle l’onctuosité des fromages. Et même l’ouïe, si on songe à cet affineur qui entendait « chanter » la sonde comme un diapason de métal. Le goût dans tout ça ? Son heure viendra à la toute fin de l’affinage.

Au terme de 14 jours minimum et sur décision de l‘affineur, les pains de Roquefort sont emballés dans une feuille microporeuse, traditionnellement d’étain, qui ralentit le développement du Penicillium. Commence alors, dans des salles à basse température, la lente maturation des fromages. Au moins trois mois après le début de l’affinage, les pains sont déballés et revirés (enlèvement de la croûte). Découpage, conditionnement : ici se termine la fabrication. Le Roquefort ne tardera plus à rejoindre votre table.

Les 7 maisons de tradition du Roquefort

Carles, Gabriel Coulet, Fromageries Occitanes, Papillon, Société, Vernières, Le Vieux Berger. Ce sont les sept fabricants de l’AOP Roquefort. Chacun avec sa cave, sa souche exclusive de Penicillium roqueforti, son parcours de collecte du lait auprès des éleveurs de brebis du rayon de Roquefort, sa fromagerie. Sept fabricants, tous rassemblés au sein du collège « fabricants » de la Confédération Générale de Roquefort, au service d’une appellation dont ils perpétuent la tradition d’excellence.

Société

La plus ancienne maison de Roquefort AOP, depuis 1851.
Premier producteur et exportateur.

Groupe Lactalis

Tranche d’histoire
Le 25 février 1851, les affineurs et les producteurs de lait signent l’acte fondateur de la Société civile des Caves et des Producteurs réunis, qui deviendra « Société ».

Son rayon de collecte du lait
1000 producteurs sur l’ensemble du rayon AOP, du Larzac à la Montagne noire, du Rougier au causse Comtal. Le lait est livré auprès des deux fromageries, à Saint-Affrique et Réquista en Aveyron.

Sa production
10 000 tonnes par an.

Son logo
Le nom « Société » en majuscules blanches dans son cartouche vert. Il s’accompagne de la mention « Depuis 1863 », date de dépôt de cette marque historique.

Papillon

Le deuxième fabricant et exportateur
de la filière.

Groupe Savencia

Tranche d’histoire
Papillon, créé en 1906 par Paul Alric, a son propre fournil pour la cuisson du pain de seigle qui sera ensemencé en Penicillium roqueforti. Un four en briques réfractaires construit en 1976, après la fermeture d’une boulangerie roquefortaise qui réalisait la cuisson des célèbres miches de pain de seigle.

Son rayon de collecte du lait
130 producteurs sur le plateau du Lévézou, dont 23 en élevage biologique, démarche impulsée par le fabricant dès 1974. Les deux laiteries se trouvent sur la frange méridionale du Lévézou, à Villefranche-de-Panat.

Sa production
2 250 tonnes par an.

Son logo
En 1906, le fondateur Paul Alric entend différencier sa production face à l’abeille de Société. La blancheur de la pâte, l’effet « chrysalide » en cave, le mouchetage bleu : l’image du papillon s’impose.

Fromageries occitanes

La seule coopérative du rayon de Roquefort.

Groupe Sodiaal

Tranche d’histoire
En 1976, des éleveurs du rayon de Roquefort créent la coopérative Scaro qui acquiert les caves des Ets Alric frères, producteurs de « la Pastourelle ». Avec l’aide de la coopérative Centre-Lait (15), une nouvelle aventure commence.

Son rayon de collecte du lait
170 producteurs entre monts de Lacaune, vallée du Rance, Rougier, hauts cantons de l’Hérault : Saint-Juéry, Saint-Sernin-sur-Rance, Montfranc, La Salvetat-sur-Agout… La laiterie est implantée à Montlaur.

Sa production
2 200 tonnes par an.

Son logo
Au milieu d’une couronne végétale : la pastourelle, jeune bergère, vêtue d’ocre jaune, de bleu pâle, de rouge et de noir, portant un agneau dans ses bras. A ses côtés, sur pattes, une brebis et son agneau.

Gabriel Coulet

Une entreprise familiale depuis cinq
générations.

Tranche d’histoire
Creusant une cave à vin sous sa maison, Guillaume Coulet découvre un trésor géologique : des fleurines. De roulier, il devient fabricant fromager en 1872. C’est en 1906 que son fils Gabriel donne son nom à la société familiale.

Son rayon de collecte du lait
100 producteurs sur le causse Comtal, le Rougier de Marcillac, le nord-Lévézou et près de l’Aubrac : Marcillac, Laissac, Pont-de-Salars. La fromagerie est implantée à Sébazac-Concourès, au nord de Rodez.

Sa production
2 000 tonnes par an.

Son logo
Un losange aux angles arrondis, à l’intérieur duquel est inscrit, en lettres blanches sur un fond vert forestier, le nom de Gabriel Coulet, lui-même souligné par une déclinaison graphique du losange.

Vernières

Une fromagerie familiale et indépendante depuis 1890.

Tranche d’histoire
L‘ancrage des Vernières à Roquefort est ancien. Le compoix (cadastre) de 1664-1671 révèle que les Vernières possèdent alors cinq des dix-huit caves dans le village de Roquefort. L’entreprise, fondée par Paulin Vernières en 1890, est toujours détenue par les descendants la famille Vernières (5e génération).

Son rayon de collecte du lait
52 producteurs entre le bocage du Lévézou et le plateau ciselé du Ségala : Villefranche-de-Panat, Alrance, Durenque, Auriac-Lagast… Le lait de brebis est acheminé à la fromagerie de Villefranche-de-Panat.

Sa production
1 200 tonnes par an, dont un-tiers commercialisé hors de France.

Son logo
Un berger et une cabanière traditionnels (cape et chapeau, coiffe et tablier) entourent un ovale vermillon estampillé d’un V majuscule. Au bas de l’ovale, dont elle épouse en partie la couleur : une brebis.

Carles

Maison familiale et artisanale depuis trois générations.

Tranche d’histoire
François Carles a créé l’une de ses premières laiteries au village de Verrières, dans le Rougier de Camarès. Plus de 80 ans plus tard, en 2012, Delphine Carles, petite-fille du fondateur de la maison Carles, effectue un retour aux sources : elle installe sa nouvelle laiterie à quelques encâblures de la laiterie originelle, veillant à y conserver son procédé traditionnel.

Son rayon de collecte du lait
15 producteurs entre la vallée du Rance, la plaine alluviale du Dourdou et le Rougier de Camarès (Martrin, Coupiac, Plaisance…). La laiterie-fromagerie se trouve à Saint-Pierre-de-Rebourguil.

Sa production
230 tonnes par an.

Son logo
Une illustration du Petit Chaperon rouge, le conte de Perrault qui met en scène le loup, bête noire des douces brebis lacaune… Dans la version de la maison Carles, le Petit Chaperon rouge apporte à sa grand-mère une belle miche de pain et… un beau fromage de Roquefort !

Le vieux berger

Le plus petit des fabricants.
Familial et artisanal.

Tranche d’histoire
Du Viala-de-Pas-de-Jaux, village templier hospitalier sur le Larzac, Henri Combes descend à Roquefort et acquiert une cave. Il la raccorde à une fleurine en creusant un tunnel de 100m. L’entreprise artisanale naît en 1923.

Son rayon de collecte du lait
8 producteurs sur le causse Comtal, le Rougier de Marcillac et le plateau du Ségala. Le lait de brebis est convoyé jusqu’à la laiterie-fromagerie des « Farguettes », commune de Mayran.

Sa production
180 tonnes par an.

Son logo
Une scène pastorale figurant un berger, casquette sur le crâne, cape sur le dos et houlette à la main, accompagné de son chien, veillant sur ses brebis, avec, en arrière-plan, un bâti caussenard.

Tranche d’histoire

Les caves du Combalou, grâce à leur orientation plein nord, n’ont pas d’équivalent. Mais longtemps, les paysans ont exploité des caves à fleurines sur le rebord du causse, à l’est du village de Roquefort, parfois creusées par eux-mêmes. On les nomme les « caves bâtardes ». Au XIXe siècle, il en existait au moins 102. Seules deux sont encore en activité, à Fondamente et Peyrelade, pour la production d’un bleu.